Témoignages
                                                                                                         







Maurice SERULLAZ, ancien Conservateur en Chef du Cabinet des Dessins au Musée du Louvre


Fervent défenseur de l’art du Dessin, Roger Plin pourrait faire sienne cette petite phrase lourde de signification de M. Ingres «Le Dessin est la probité de l’Art». En effet, l’exposition qui présente un choix de cent dessins exécutés par les élèves de son atelier, est un exemple significatif de l’enseignement prodigué par Roger Plin, et de la liberté qu’il laisse à chacun d’entre eux pour s’exprimer. Ce maître, à la fois excellent artiste et parfait professeur —il est rare de combiner les deux— rejoint en plusieurs points Degas, lui-même passionné de dessin et s’est exprimé, dans ce domaine, avec une sûreté et une diversité qui sont la preuve évidente de son talent.

Pour Roger Plin, il est indispensable de s’attacher à l’esprit des formes, à la composition, à l’harmonie. Il écrit par ailleurs «Le dessin est le moyen d’exprimer graphiquement et directement les formes perçues à la faveur de la lumière et traduites à la fois par le souvenir et l’imagination propres à chaque individu. En privilégiant ainsi l’imagination si chère à Delacroix, Roger Plin, dont on connaît l’admiration envers ce peintre, se rapproche également de Baudelaire qui voyait en elle la «reine des facultés». Quant à nous, nous nous rallierons bien volontiers à la véhémente indignation —pleinement justifiée, avouons-le, — de Roger Plin, à l’égard de ceux qui considèrent le dessin comme un art mineur. «Il est temps de réagir vigoureusement, écrit-il. Le dessin n’est pas le parent pauvre des arts plastiques, il n’en est pas non plus un simple auxiliaire. Il en est la démarche première et la plus riche de sens. S’il remplit bien sa fonction, il ouvre à l’artiste toutes les possibilités ; s’il est mal compris, il compromet tout le reste. Car ayant à diriger le Cabinet des Dessins du Musée du Louvre —l’un des plus importants du monde— nous considérons en effet que le dessin est l’expression la plus immédiate, la plus pure et la plus haute de l’artiste : il est son écriture, la révélation la plus intime, la plus intérieure aussi, de chacun. Il est en outre à l’origine de tous les arts. Architectes, sculpteurs, peintres, graveurs, orfèvres, céramistes ou ébénistes, tous les principaux « tenants » de ces aspects si divers des arts plastiques ont dessiné. Mais aussi les poètes, les écrivains, les musiciens, les metteurs en scène... Et c’est à juste titre que Paul Valéry voyait dans le dessin le père de tous les arts, remarquant dans son admirable ouvrage Degas, Danse, Dessin Je ne sais pas d’art qui puisse engager plus d’intelligence que le dessin. Qu’il s’agisse d’extraire du complexe de la vue la trouvaille du trait, de résumer une structure, de ne pas céder à la main, de lire et de prononcer en soi une forme avant de l’écrire ou bien que l’invention domine le moment, que l’idée se fasse obéir, se précise, et s’enrichisse de ce qu’elle devient sur le papier, sous le regard, tous les dons de l’esprit trouvent leur emploi dans ce travail, où paraissent non moins fortement tous les caractères de la personne quand elle en a.

Ainsi, l’exposition des élèves de Roger Plin est-elle un parfait exemple de cette diversité et de cette compréhension du dessin. Les œuvres conçues par ce groupe d’artistes témoignent, qu’éduqués intelligemment par leur maître, ils ont su tirer la leçon de son enseignement, sans pour autant le copier, ni copier, non plus, les génies du passé. Sensibles cependant à l’art de leurs grands devanciers, ils ne méprisent pas pour autant les travaux valables de l’art contemporain. Chacun d’entre eux fait apparaître son tempérament, sa sensibilité dans les domaines ou les thèmes les plus variés de l’art du dessin, bien qu’une certaine unité, sinon de style, du moins de conception, y apparaisse, par simple amour de la forme. Chacun des participants ayant pu donner libre cours à sa personnalité, on trouvera ainsi dans l’exposition — et nous nous en félicitons — des sujets forts différents : compositions, portraits, nus, paysages, et des techniques très diversifiées plume, mine de plomb, crayon noir, lavis, aquarelle...
Nous ne saurions citer ici tous leurs noms. Ce n’est pas notre propos. Cependant, nous voudrions souligner que tous font partie, avec leur maître,

Roger Plin, d’une famille d’artistes - et, comme dans toute famille, chacun conserve nécessairement sa personnalité malgré une même éducation - qui trouve sa place au milieu de tous ceux qui, dès les origines de l’Art, ont considéré le dessin comme le fondement de toute expression artistique, et l’instrument le plus propre à évoquer leurs sensations devant l’univers offert à eux.
Autrefois, et dès la Renaissance, l’amour du dessin se manifestait non seulement chez les artistes, mais chez les collectionneurs ; et célèbres étaient ces cabinets d’amateurs et qui se développèrent tout au long des siècles, et dont au XVIIIe siècle, Pierre-Jean Manette —prince des collectionneurs— fut, en France, l’un des plus exceptionnels. Aujourd’hui, les multiples expositions de dessins organisées dans le monde entier, les cours consacrés à cette forme essentielle de l’Art, à l’Ecole du Louvre en particulier, le nombre sans cesse croissant des collectionneurs de dessins — souvent très jeunes — le goût enfin de bien des artistes pour les diverses techniques du dessin, sont révélateurs. Nous voyons en effet le symbole d’une prééminence incontestable du Dessin, reconnu comme élément fondamental de la création artistique. Il convient donc de féliciter chaleureusement Roger Plein d’être, avec son entourage, l’un des artisans passionnés et convaincus de cette résurgence du Dessin, qui est la plus belle forme de l’art graphique, et la plus directe et la plus subtile.