Témoignages
                                                                                                         







Dominique CHAUVEAU

Roger PLIN

Ce qui surprend, dans les dessins de Roger Plin, c'est quelque chose d'un autre temps, d'une autre époque. C'est une science, un métier, quelque chose de la science et du métier des grands anciens, qu'il était peut être le dernier à détenir, et qu'il avait, il aimait à le dire, apprit de son maître Jacques Zwobada.
Roger Plin appartenait à cette lignée de dessinateurs, depuis la Renaissance, de Michel-Ange, du Primatice et de Tiepolo - les grands « décorateurs » - de Charles Lebrun jusqu'à Delacroix, puis Rodin, Degas, Seurat .... Tous ceux qui avant lui ont apporté au dessin ce métier, cette science des ombres, des volumes, du mouvement, que l'on retrouve dans ses propres dessins.
Un secret, plus grand encore, invisible, imperceptiblement inscrit dans l'œuvre, et qui est plus encore que le métier - science des valeurs, des gammes, des structures, de l'architecture - était contenu dans ses dessins. Quelque chose de mystérieux, d'insaisissable « l'ampleur » de l'œuvre, sa « dimension », non pas au sens mesurable, mais, dans la conception même, sa grandeur, qu'il appelait « l'échelle ». La « monumentalité », qui est le secret des maîtres d'autrefois.

Roger Plin était un classique, terme qu'il ne faut pas confondre avec académique.
Les classiques, écrivains, peintres, poètes, musiciens, ont été des modernes dans leur temps. Ils sont devenus des « classiques », c'est-à-dire des exemples de réussite, non pas d'une « carrière » mais d'une « œuvre ». À l'instar de ses grands devanciers, Roger Plin était un moderne, ouvert à toutes les formes d'expression, amoureux de la musique et ami des musiciens, dont ceux de l'Orchestre National qu'il fréquentait et dessinait souvent. « Il ne suffit pas d'être musicien ou d'en avoir l'air, écrivait Eric Satie dans son journal, il faut en avoir l'esprit ».
L'esprit musical, frère de l'esprit pictural, l'esprit poétique, l'esprit philosophique ...

Roger Plin aimait « l'esprit ».
L'esprit créatif, l'imagination « la reine des facultés », selon Delacroix.
« Le dessin est la probité de l'Art ». Dans l'amphithéâtre de dessin, où il enseignait à l'école des Beaux-Arts, cette citation du « père Ingres » était gravée en lettres d'or. La probité, la preuve de l'honnêteté... Mais pour Roger Plin, le dessin était bien plus qu'un moyen. C'était une fin en soi, un art à part entière, un art majeur dont il nous encourageait à explorer toutes les ressources avec audace et invention, continuant « l'école » à la façon d'un Gustave Moreau, « penseur » et « passeur », qui avait eu pour élèves Rouault, Marquet, Matisse... et pour qui « Être moderne ne consiste pas à chercher quelque chose en dehors de tout ce qui a été fait. Il s'agit au contraire de coordonner tout ce que les âges précédents nous ont apporté pour « faire voir » comment notre siècle a accepté cet héritage et comment il en use ».
Il y a deux façons de « faire voir » les choses. De les dessiner. L'une habituelle et tranquille qui se contente de les décrire et qui est, dans le domaine des arts, l'équivalent du lieu commun. L'autre, plus fine et plus savante, devine entre les choses, « à l'intérieur », des structures mouvantes et complexes, obscurément présentes, des rapports singuliers, des combinaisons de formes imprévues et subtiles, qui donnent naissance à des œuvres originales et fortes.
Pour l'artiste imaginatif, chaque chose, chaque lieu a sa beauté, sa poésie, son « climat » particulier, source de découvertes, d'étonnement, d'émotion ...
Cours de ferme inondée de lumière, berger sous un chêne, pénombres d'étables, croupes rutilantes des chevaux, reflets mouillés du couchant à marée basse, emmêlements de métal et de filins, bords de rivière à l'écart du monde où l'esprit se libère des contraintes du temps ... Roger Plin ne cherchait pas l'originalité du sujet, la nouveauté.
« La nouveauté, dans la peinture, ne consiste surtout pas dans un sujet non encore vu, mais dans la bonne et nouvelle disposition et expression, et ainsi, de commun et vieux, le sujet devient singulier et neuf. »